Chronique des temps barbares
Café Littéraire de la Terrasse - Chronique des temps barbares (7)

Santé... A la vôtre !

Il y a un peu plus de dix ans, mon frère, de retour d’Afrique, me confia qu’il n’allait pas très bien, entre ses crises de paludisme et son foie qui le tourmentait. « Bois moins » lui avait seriné son médecin pendant plusieurs années. Même en buvant moins, cela ne s’arrangeait pas. Des examens furent pratiqués et les résultats sans appel. Une hépatite C, un foie au dernier stade de la maladie, des métastases un peu partout... Où avait-il donc pu attraper cette maladie ? Il chercha dans sa mémoire, et une scène lui revint. Il avait été transfusé quelques années auparavant…

Ah ! quel joli marché que celui de la santé. On vous pompe du sang que l’on vous rétribue d’un sandwich, d’une boisson sucrée, d’une poignée de main, peut-être même d’un billet... « Merci pour votre don », « Vous avez bien mérité ». On vous le pompait n’importe où, dans les prisons chez les drogués, dans les rues, sur les marchés. « Votre corps nous intéresse », votre sang, votre sperme, vos ovules, votre moelle… Et si d’ordinaire vous mouriez – n’en doutez pas, cela vous arrivera –, vos cornées, votre cœur, vos poumons, votre main droite, tiens… votre jambe gauche, votre estomac, vos intestins, vos muscles, vos os… Vous n’en avez plus besoin… Vous n’êtes pas tout à fait mort ? Qu’à cela ne tienne, nous vous aiderons à passer de l’autre côté… Vous êtes bien vivant et pauvre ? Vous êtes nés dans les bidonvilles de l’une de ces grandes villes du Brésil ? Nous vous empruntons vos yeux, un rein, un organe par-ci, un autre par-là… deux organes, c’est trop, pour un pauvre, un seul suffirait bien et devenir aveugle vous permettra de mendier plus aisément… Vraiment, nous vous rendons service…

Au marché des organes, votre corps nous intéresse, bigrement. Ce corps ne vous sert plus ? C’est comme votre paire de chaussures… Qu’allez-vous en faire dans votre cercueil ? Les cents pas ? Vous ne pouvez même pas vous retourner ! C’est vrai que c’est étroit, ces boîtes… taillées comme un costume ! Vous voyez bien ! Alors, la paire de groles, on vous la laisse, on ne vous prend que le reste… On choisit, comme au supermarché, tiens… un rein qui n’a pas l’air trop amoché, un cœur qui pourra encore faire quelques kilomètres, des poumons, bah… des poumons de fumeur, un peu encrassés, non ? on vous les laisse… par contre on vous pique la cervelle, ça c’est bonheur, à défaut de la réduire en poudre, on pourra toujours la faire sauter au beurre noir et la servir à la cantine de l’hôpital ! Non, je blague, quoique…

Au marché de vos morceaux, les bas comme les beaux, tout nous intéresse. Le don est gratuit, il est même obligatoire, comme les impôts, la retraite ou la Sécu, même si cela ne vous servira jamais. On vous prélève tout à fait légalement, on vous a toujours prélevé, vous avez l’habitude de vous laisser dépecer, alors, laissez vous faire... Vous pouvez encore nous rapporter, mort, comme vous nous rapportiez, vif. Cela ne vous coûte plus rien alors que cela va nous rapporter gros.

Car vous ne pensez tout de même pas que l’on va faire cadeau de vos organes, de votre sang, de votre sperme, enfin… de tout ce que vous pouviez pisser vif et qui ne vous sert plus mort, à ceux à qui on va les refiler… Le prélèvement, ça coûte ; la conservation, le transport, ça coûte ; la transplantation, l’intervention, ça coûte… enfin, ça rapporte ! Ça nous rapporte immédiatement ; vous ne pensez tout de même pas que l’on va faire cela gratuitement ! Et les anti-rejet, ça nous rapporte, à vie ! Enfin… ça rapporte aux copains, les laboratoires pharmaceutiques… On se tient la main… Entre équarrisseurs, faut s’entraider !

Pour cela, il faut que nous vous fassions pleurer de façon que vous ne vous rebiffiez pas trop au dépeçage. On vous concocte, de temps en temps, un petit reportage à la télé, une petite fille qui va crever si elle n’a pas sa paire de poumons neufs, une petite fille jolie, avec un beau sourire, un peu pâlotte… C’est affreux, non ? On attend avec impatience le petit jeune en mobylette qui va passer sous une voiture, pas un choc frontal, de côté plutôt… du même groupe sanguin, hein ! Il y a des candidats ? Ne vous en faites pas, la publicité s’en charge, en passant en boucle des spots montrant des voitures aux vitres fumées qui cachent le conducteur ; on ne vous reconnaîtra pas… Vous pouvez y aller, foncez ! C’est pour une petite fille. Un bon geste ! vous, l’automobiliste, toi, le motocycliste !

La qualité ? Aucune importance ! Une tomate de supermarché, c’est rond, c’est rouge et ça brille. C’est donc une tomate ! Ça n’a pas de goût ? C’est votre problème ! C’est vous qui l’achetez. Nous, nous ne faisons que la vendre. Cela nous suffit bien. C’est comme le sang que nous vous vendons… Ça ressemble à du sang, c’est rouge, ça coule… Comment ? Vous pensez qu’il n’y a pas que du sang dans ce sang ? Mais sachez que, ces suppléments, nous ne vous les faisons pas payer ! C’est gratis, compris dans le prix, une petite hépatite, un petit Sida, un prion, c’est cadeau, en sus, comme les pesticides et les anti-pourrissement sur nos tomates ! On ne va tout de même pas les étiqueter, non ?

Au marché de la santé, votre malheur nous intéresse. C’est un business, comme un autre. La Sécu ne finance pas votre santé. Elle finance notre industrie. Comme la Sécu n’y suffit plus, car nous sommes gourmands autant qu’efficaces, nous prenons aussi une part de vos impôts. Nous ne souhaitons que votre malheur, vos os qui s’émiettent, vos cartilages qui grincent – ils ont fondu –, vos poumons piqués d’amiante, vos organes qui se déglinguent avec notre chimie, notre industrie nucléaire – il faut bien que vous vous éclairiez, non ? – un bon petit cancer par-ci, une bonne hépatite par-là, un Sida, le rêve… un traitement à vie… un Alzheimer, ça n’est pas mal non plus, plus tard, en prime, la cerise sur le gâteau… une bonne dépression, un petit bobo au moins, une coupure, un mal de tête… la fréquentation des supermarchés, ça c’est bon, des pizzas à gogo, et du gras, du sel, des édulcorants, des agents de sapidité – c’est merveilleux, ça… ça n’a pas de nom – des colorants, des anti-oxydants… Ah ! que cette société est belle avec tous ces industriels, innocents comme l’enfant qui vient de naître, qui se tiennent la main, et qui font la ronde, levant haut la jambe, accompagnés du législateur, innocent, du juge, innocent, et qui dansent, dansent au son de nos organes, de nos corps dépecés, meurtris, dépouillés, violés, vidés comme des poulets de batterie.

Mon frère n’a pas survécu longtemps au virus que l’industrie de la « santé » lui avait inoculé.

Patrice Bérard, 30 mai 2009

A voir ou à revoir, « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pietr Paulo Pasolini. Vous verrez, à la fin du film, comme ils dansent. C'est en DVD et suivi d'un remarquable documentaire.

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